Chers tous,
A croire qu’il faut que le monde tremble pour que je prenne ou reprenne l’écriture de Dimanche Seven.
Comme cela a été ma ligne éditoriale depuis plusieurs mois maintenant, je ne m’exprimerai pas ici sur sur le mot qui comme qui commence par un c et termine par un d.
Et nous parlerons plutôt de NFT, de la Great Resignation, ou encore des family offices.
Bon dimanche, amitiés,
Grégory
© Guillaume Caillebotte - Homme à la fenêtre (acquis 53 millions de dollars par le Musée Getty de LA lors des dernières ventes chez Christie’s)
👨👩👦👦 Family offices become serious rivals to VC firms for funding start-ups (Financial Times, Nov. 24, 2021)
Par Stephen Foley
Résumé en 1 phrase : Hier encore focalisés sur les achats de titres cotés, les family offices (ces véhicules d’investissements qui gèrent la fortune d’une ou plusieurs familles) sont en train de devenir des acteurs de plus en plus sérieux en venture capital.
Le déferlement de capital sur les investissements en technologie, souvent regroupés sous la terminologie “venture capital” (VC) oblige de plus en plus les fameux VC à se réinventer, comme dernièrement l’un des plus illustre d’entre-eux, Sequoia Capital (qui se tourne vers un modèle plus orienté vers le capital permanent - plus flexible que les structures de fonds avec une durée de vie de 10 ans).
Mais quel est cet argent qui vient marcher sur les plates-bandes des vénérables fonds de Sand Hill Road (la rue des VC de Palo Alto) ? Et bien les family offices (“FO” dans le jargon) mais aussi les hedge funds ou encore les fonds de pension et les sociétés d’asset management plus traditionnelles. Bref, tout le monde veut faire de la tech, et plus seulement participer aux introductions en bourse (IPO) ou pré-introductions en bourse (pré-IPO).
Quelle est la force des FO, dont la mission est d’assurer la protection du capital et sa transmission de génération en génération ? Ils sont ce que l’on appelle du capital patient, qui est par essence permanent, et n’ont donc pas vraiment de contrainte de liquidité. C’est pourquoi il y a une pression croissante sur les fonds de venture capital pour se muter en structure à capital permanent également.
D’après une étude de SVB Capital/Campden Wealth, les family offices veulent accroître leur déploiement de capital en venture au cours des années à venir, ce qui signifie plus de deal flow (l’accès au dossier = le nerf de la guerre pour avoir le choix du roi quand on investit et être dans les meilleurs deals) et donc un plus grand network effect (la clé du succès en tech, et dans beaucoup de choses !).
💰 Le phénomène des NFT déferle dans plusieurs secteurs de l’économie (Le Figaro, 22 Nov. 2021)
Par Ingrid Vergara
Résumé en 1 phrase : Les NFT (jetons numériques) ne sont plus seulement l’apanage d’un cercle restreint de collectionneurs, d’investisseurs et de connaisseurs de la finance décentralisée mais suscitent de plus en plus l’intérêt des entreprises, pour qui c’est une nouvelle corde à l’arc de créer un lien plus fort avec leurs clients.
Débutons par un petit rappel. Qu’est-ce-ce que c’est qu’un NFT ? Alors comme souvent quand on veut une définition pas trop compliquée, on se réfère à Wikipedia :
2021 aura été l’année de démocratisation des NFT. On a entendu parler des oeuvres numériques vendues très chères, de même que des extraits de vidéos d’exploits sportifs ou encore de cartes à jouer, etc.
La blockchain aidant on peut rendre unique tout et n’importe quoi : de la représentation d’un actif existant dans le monde réel (mais est-ce que cela a seulement encore un sens de qualifier un monde de “réel” ?) à une pure invention de l’esprit (on croirait lire la philosophie de Spinoza, mais ce n’est que moi).
Les principales industries des NFT à date sont l’art, le sport, et les jeux en ligne (makes sense).
Le passage de la niche au mainstream se manifeste de façon plus que probante dans les chiffres — aidés en cela par des plateformes superbes (je vous conseille d’aller y faire un tour) comme Opensea ou Rarible.
“En moins de douze mois, les NFT sont passés d’une industrie de niche à une industrie multimilliardaire. «Le marché a connu un véritable boom depuis le début de l’année, pour dépasser les 10 milliards de dollars de transactions sur la seule blockchain Ethereum, contre 70 millions il y a un an», résume Gauthier Zuppinger, cofondateur de nonfungible.com, une plateforme de données autour des NFT.”
Si cela provoque bien sûr parfois des excès dus à la spéculation, avec une forte volatilité, nous sommes sur un mouvement de fond proprement fascinant. Ainsi de plus en plus de sociétés s’activent pour participer à cette industrie puissante — par exemple dans le luxe, la finance, ou encore l’immobilier et le commerce. Les NFT sont ainsi un outil puissant pour dorer son blason auprès de sa communauté.
Un des exemples les plus forts de la puissance des NFT a été la levée de fonds de 580 millions de dollars par la startup française Sorare qui édite en quelque sorte des cartes de football Panini en version digitale.
L’industrie n’en n’est qu’à ses débuts, puisque l’on parle essentiellement à ce stade de collectibles quand en réalité tout et n’importe quoi peut être transformé en actif financier (tous nos actifs physiques par exemple).
📻🎙️🧏🏻♀️🧏🏻♂️ Inside the rise and fall of Clubhouse, a pandemic poster child of VC-backed hype now hobbled by 'drama rooms,' unhappy creators, dwindling users, and dubious advertisers (Business Insider, Nov. 22, 2021)
Par Kali Hays et Melia Russell
Résumé en 1 phrase : Hier encore star absolue des app de confinement valorisée 4 milliards de dollars, Clubhouse est comme tombée aux oubliettes.
Vous vous souvenez de Clubhouse ? C’était cette app 100% audio qui permettait à des illustres inconnus de discuter avec des gens beaucoup plus connus, parfois de vrais titans des affaires ou des médias ou de la politique, sur des rooms. Une sorte d’agora virtuelle. Virtuelle comme le monde de la pandémie globale qui nous a fait passer des cafés à Chrome, des boites de nuit à nos Instagram et des salles de concert à Spotify, and so on.
Or, avec le retour à la vie normale (du moins à ce stade), ce veau d’or est comme tombé en désuétude, le tout après avoir levé 100 millions de dollars, notamment auprès d’un des plus puissants fonds de la vallée (Andreessen Horowitz). Résultat des courses : des téléchargements en chute de 90% depuis le pic de juin et des utilisateurs journaliers en chute de 80% depuis février.
L’année dernière, alors que les plus grands du monde de la tech se pressaient sur l’application, on a cru que Clubhouse pourrait représenter une alternative aux méga-plateformes. Mais pour l’instant Clubhouse semble plus jouer le rôle de Lucien de Rubempré dans Les Illusions perdues qu’Eugène de Rastignac dans Le Père Goriot (ou en vérité dans La Maison Nucingen ou Le cabinet des antiques car à la fin du Père Goriot l’étoile de Rastignac a pâli et son ascencion ne fait que re-commencer).
The startup was even cited as an example of how competition was still healthy in the tech industry, a counter to broad media coverage of a crackdown by antitrust regulators. But this year has been a textbook example of how established social-media platforms with large existing audiences have an advantage over younger companies wooing users from scratch.
Moralité : il est difficile de conserver une énorme audience en tant que plateforme alternative. Twitter (qui avait envisagé le rachat de Clubhouse pour 4 milliards de dollars) a ainsi lancé “Spaces” (même principe que Clubhouse) et Facebook “Live audio rooms” (idem).
Mais Clubhouse dispose du temps (car du cash) pour trouver sa voie. Si son hyper-croissance des débuts peut désormais laisser sur sa faim, la startup a décidé de focaliser sur une croissance stable et raisonnée afin de trouver son modèle et son public.
👨🏻💻 ‘An unbelievable sense of freedom’: why Americans are quitting in record numbers (The Guardian, Nov. 3, 2021)
Par Patricia Kelly Yeo
Résumé en 1 phrase : La pandémie a bouleversé le monde du travail et incité de nombreux salariés - notamment parmi les plus jeunes - à réévaluer leur engagement dans la vie professionnelle
Durant le seul mois d’août 2021, 4,3 millions de travailleurs américains ont abandonné leur emploi volontairement. Depuis vingt ans que cette donnée est mesurée, c’est un record. Il ne s’agit pas d’un artefact statistique, mais de la confirmation d’une tendance lourde : entre janvier et août, au moins 30 millions d’américains ont démissionné.
Ce phénomène, que l’on nomme la Great Resignation, procède d’au moins deux causes :
D’une part, la pandémie a incité de nombreux travailleurs à réévaluer leurs priorités (en défaveur du travail) - par exemple en redécouvrant grâce au télétravail le plaisir de petit-déjeuner en famille.
“My job is not my life,” Nancy says. “My life is my life and my job is my job. I’m willing to take on the uncertainty [of unemployment] simply to have my own time under control, and have my own life available to me.”
D’autre part, les conditions de travail se sont généralement dégradées. En premier lieu, le travail a distance a rendu floue la frontière entre office hours et heures de repos, de même qu’il a distendu les liens sociaux entre collègues. Par ailleurs, certains secteurs (en particulier dans l’économie digitale) ont connu une croissance très dynamique qui fut rarement accompagnée de recrutements - d’où une charge de travail en forte hausse. Et ces deux effets se conjuguent…
Work became so all-consuming that she converted her home studio space, originally set up for unwinding and making art, into a makeshift home office. “[The pandemic] turned this space for good times into work times, and eventually bad times,” Cassie recalls.
La portée (s’agit-il d’un phénomène ponctuel ou d’une tendance de long cours ?) et les conséquences de cette Great Resignation demeurent à explorer. Beaucoup de démissionnaires eux-mêmes ne savent pas de quoi leur futur sera fait. En toute hypothèse, les entreprises ont intérêt (dans la veine des recommandations du rapport Blanchard-Tirole sur les grands défis économiques, et notamment des travaux de l’économiste française Stefanie Stantcheva) à créer des quality jobs.
♟️ Championnat du monde d’échecs : Magnus Carlsen affrontera Ian Nepomniachtchi, à Dubaï (Le Monde, Nov. 24, 2021)
Par Pierre Barthélémy
Résumé en 1 phrase : Le génie norvégien Carlsen, champion du monde en titre, affronte le feu-follet russe Nepomniachtchi depuis mercredi : cette opposition de styles et de caractères devrait être très suivie, dans un contexte de regain d’intérêt pour le jeu d’échecs
Le 27 avril 2021 à Ekaterinbourg (Russie), Ian Nepomniachtchi (31 ans) a remporté le légendaire tournoi des candidats, qui fait s’affronter les huit meilleurs joueurs de la planète - à l’exception du champion du monde - pour définir celui qui aura l’honneur de l’affronter.
Il a notamment écarté de son chemin le très fort français Maxime Vachier-Lagrave (31 ans), arrivé deuxième alors qu’il était en tête quand le tournoi s’est interrompu en 2020 pour cause de pandémie. Coupable d’erreurs étonnantes dans les moments décisifs, on lui a parfois reproché un mental défaillant - jusqu’à incarner un archétype de beautiful loser à la française, typique de nos compatriotes tennismen.
Ce championnat du monde, qui a débuté mercredi à Dubai et sera assorti d’un prize money de 2 millions d’euros, se jouera en quatorze parties longues (d’à peu près 6 heures chacune) et devrait se terminer le 16 décembre. En cas d’égalité, le départage se fera sur parties rapides.
Après deux parties nulles, Carlsen et Nepo (ainsi qu’il est généralement appelé) sont à égalité. Leur duel donne à voir une opposition de styles classique et paroxystique : le norvégien est un stratège, d’une psychologie robotique et qui écrase progressivement son adversaire ; le russe est un feu-follet, souvent pris d’angoisse, adepte de tactiques créatives mais risquées. Sa carrière tarda à prendre son essor faute d’une discipline suffisante. Adolescent, il fut renvoyé de son académie d’échecs pour avoir jeté une paire de chaussures sur son entraîneur.
Cet affrontement revêt une portée géopolitique pour la Russie, qui veut voir triompher son champion (dont les chances sont estimées à 40%).
Ramener «la couronne à l'empire», comme le souligne avec une métaphore très symbolique Almira Skripchenko, est une obsession du pouvoir russe qui estime que le roi des jeux est une cause patriotique depuis que le grand maître Mikhail Botvinnik, un communiste convaincu, avait ramené le sceptre mondial à Moscou en 1948, au temps de l'ère stalinienne.
Ces championnats du monde devraient être plus suivis qu’à l’ordinaire, dans un contexte de fort regain d’intérêt mondial pour le jeu d’échecs. Celui-ci, qui résulte du temps libre laissé par la pandémie et du succès de la production Netflix The Queen’s Gambit, a fait exploser le jeu en ligne (la plateforme chess.com est passée de 20 à 60 millions d’utilisateurs) et suscité la création de nouveaux lieux de rencontre pour les passionnés. Dernière en date, la Blitz Society de Saint-Germain des Près connaît un beau succès depuis son lancement en octobre.
Le vainqueur de ce championnat du monde pourrait affronter à l’occasion du prochain championnat (en 2022) le jeune génie iranien naturalisé français il y a quelques jours (il avait provoqué l’ire de la fédération iranienne en affrontant un joueur israélien), Alireza Firouzja (18 ans). Celui-ci est le plus jeune joueur de l’Histoire à dépasser les 2800 Elo, le plus jeune numéro 2 mondial, et est sans doute appelé à devenir champion du monde - sinon en 2022, alors un peu plus tard.
Grazie mille à tutti !