Chers tous,
Il se passe tant de choses ces temps-ci que jâai un peu hĂ©sitĂ© Ă rĂ©diger lâĂ©dition de ce dimanche. Comme souvent, jâaime bien voir comment les balles chaudes de lâactualitĂ© retombent. Mais, en mĂȘme temps, jâai rĂ©alisĂ© que remettre Ă dans huit jours la prochaine Ă©dition serait un peu plus compliquĂ© encore.
Alors que lâHistoire est dans les starting-blocs (le nouveau gouvernement italien, le nouveau gouvernement britannique, les Ă©lections du jour au BrĂ©sil Ă©ternelle terre dâavenir, la guerre russe en Ukraine bien-sĂ»r et ses dommage collatĂ©raux â avec derniĂšrement les sabotages iniques de gazoducs dans le Nord de lâEurope), ce que je retiens est que pour la premiĂšre fois depuis longtemps, les affaires internationales â celle des TraitĂ©s de Westphalie, du CongrĂšs de Vienne ou de celui de Versailles, de Bretton Woods ou de Camp David â mettent tout le monde dâaccord : geopolitics rule the world, et le reste, ai-je envie de dire, nâest quâaccessoire. Les questions du remote, des transitions, du coĂ»t de la dette đž ou encore du web3 caracolent en queue de peloton face Ă la mĂšre de toutes les menaces : la guerre, et a fortiori la guerre nuclĂ©aire agitĂ©e comme un Ă©ventail par la Russie.
Cette semaine donc, un peu dâĂ©conomie technologique quand mĂȘme, et pas mal de politique internationale.
Bonne fin de weekend, amitiés,
Grégory
Willem de Kooning, Collage (1950). Oil on lacquer on paper with thumbtacks. Vente chez Sothebyâs de la splendide collection de David M. Solinger.
đ€ł The TikTokization of Everything (Digital Native, September 28, 2022)
Par Rex Woodbury
« Over the past decade, two primary forces have powered technology: mobile and cloud. »
đ± Le tĂ©lĂ©phone mobileâŠ
â> ⊠a permis lâĂ©mergence de startups « consumer » gigantesques comme Uber, Instagram, Snap, etc. Je pourrais ajouter Deliveroo ou Uber Eats, etc.
â> Lâimpact de ce tout mobile a Ă©tĂ© de forcer les stars du web 1 (lâĂ©poque oĂč on surfait derriĂšre son ordinateur đ§âđ» â rien que dâĂ©crire ces mots est pratiquement douloureux) Ă faire migrer leur modĂšle publicitaire vers les smartphones donc.
âïž Le cloudâŠ
â> ⊠a permis de son cĂŽtĂ© lâĂ©mergence des fameuses startups SaaS (Software as a Service, comme Zoom par exemple).
â> De mĂȘme, grĂące au cloud (i.e. hĂ©berger les donnĂ©es dans les nuages au lieu de les avoir sur son serveur chez soi, etc), la data est devenue le nouveau pĂ©trole (jâai envie de dire le nouveau gaz en fait).
â> Les faits ne mentent pas : les donnĂ©es stockĂ©es dans le cloud sont passĂ©es de 30% en 2015 à ⊠60% en 2022.
â> Or lâun des titans du secteur est Amazon, avec sa filiale Amazon Web Services (AWS) et les chiffres, une fois encore, sont Ă©loquents, avec un CA qui est passĂ© de 3 petits milliards de dollars en 2013 à ⊠62 en 2021.
Une fois de plus, la grande question (comme Ă©voquĂ© de multiples fois dans Dimanche Seven) câest : quel est le nouvel eldorado ?
A lâĂšre digitale, on peut trouver le iPhone (nĂ© en 2007) ou Amazon Web Services (2006), un peu vieux dĂ©jĂ , et ce quand bien mĂȘme le plateau commercial est encore consĂ©quent.
Alors on regarde du cĂŽtĂ© de la rĂ©alitĂ© virtuelle, de lâintelligence artificielle ou du web3. Mais toutes ces technologies constituent des marchĂ©s encore minuscules (la rĂ©alitĂ© virtuelle = 2% des revenus dâApple par exemple).
â> Pour mieux dĂ©couvrir le nouvel eldorado, des montagnes dâargent ont Ă©tĂ© dĂ©versĂ©es en venture capital (de 45 milliards de dollars de deals aux US par exemple en 2011 à ⊠329 en 2021 !).
â> Et de toutes les trouvailles, câest bien lâA.I. (Artificial Intelligence ou I.A. en français) qui pourrait ĂȘtre la plus puissante commercialement :
« Perhaps the most compellingâand the most likelyâforce to power tech in the 2020s is artificial intelligence. AI has improved dramatically within the past few years. Until recently, Gmailâs auto-complete sentence feature was almost unusable; now itâs scarily good. Facebook users will recognize how good AI has become at identifying friends in your photos; Facebookâs DeepFace engine is now actually better at facial recognition than humans. »
Et qui excelle dans lâutilisation de lâintelligence artificielle ? TikTok.
La puissance de TikTok (que je nâarrive pas Ă utiliser malgrĂ© tous mes efforts trĂšs rĂ©guliers) est son algorithme immersif qui fait de la page dâaccueil de chacun (For You Page) une machine de guerre qui pousse des vidĂ©os toujours plus addictives et adaptĂ©es aux membres de la plateforme.
© Wall Street Journal
Or, pour les technologistes, on va assister Ă un moment âUnbundling of Craigslistâ version TikTok. Je vais vous en dire plus.
A lâĂ©poque, pour celles et ceux qui sâen souviennent, Craigslist est ce site gĂ©ant de petites annonces qui capture Ă peu prĂšs tout ce qui a Ă©tĂ© verticalisĂ© par la suite : le dating bien-sĂ»r, mais aussi les logements, les ventes de seconde main, les offres de job, etc.
« The basic premise of these graphics was that major categories were being reinvented by more focused, better products. Often, the disruptor leveraged a new technology. Tinder, for instance, was one of the first mobile-only dating apps. »
De mĂȘme que Craigslist a ensuite inspirĂ© nombre dâapp structurantes (Tinder, Airbnb, Upwork, Indeed, etc), il pourrait en ĂȘtre de mĂȘme avec TikTok et lâI.A., qui aura ainsi ouvert la marche đ¶.
La TikTokisation de la mode, avec SHEIN
, est un exemple superbement puissant.
Note bene personnel : SHEIN soulĂšve nombre de sujets en matiĂšre de responsabilitĂ© sociale et environnementale, et lâauteur focalise ici sur lâaspect technologique.
« SHEINâs explosion is nothing short of remarkable: SHEIN has grown over 100% every year for eight straight years (!), and its latest private market valuation makes it worth more than Zara and H&M combined. In June, SHEIN dethroned Amazon as the No. 1 shopping app in the iOS and Android app stores. »
â> Comme son compatriote TikTok, SHEIN (qui est aussi chinois) utilise trĂšs bien lâintelligence artificielle pour anticiper les envies des consommateurs.
â> Sa vĂ©locitĂ© est redoutable : 8.000 nouveaux produits sont ajoutĂ©s chaque jour sur le site (500 chez Zara).
« SHEIN is basically an internet-native reincarnation of Zara and H&M, leveraging better technology to squeeze three week design-to-production timelines into three days. SHEIN combs competitorâs websites and Google Trends to figure out whatâs in style, then creates designs quickly, forecasts demand, and adjusts inventory in real-time. »
âą In Washington, Putinâs Nuclear Threats Stir Growing Alarm (New York Times, October 1, 2022)
Par David E. Sanger, Anton Troianovski et Julian E. Barnes
Depuis quelques jours, on se croirait revenu Ă il y a exactement 60 ans, lors de la crise des missiles Ă Cuba, en octobre 1962 donc, oĂč le monde đ a frĂŽlĂ© la guerre nuclĂ©aire.
Depuis quelques jours, le Kremlin brandit de façon Ă peine voilĂ©e cette menace suprĂȘme (on a dĂ©finitivement tournĂ© la page de la fin de lâHistoireâŠ).
Du cĂŽtĂ© amĂ©ricain, on prend ça trĂšs au sĂ©rieux, et on essaye dâanticiper au maximum, quand bien mĂȘme on estime comme basse lâhypothĂšse dâun passage Ă lâacte (dâailleurs nous serions plutĂŽt confrontĂ©s Ă des petites armes tactiques quâĂ des bombes telles que celles que lâon connaissait jusque-lĂ ) :
âThe chance that Putin would strike out of the blue seems very low,â said Graham T. Allison, the & of a seminal 1971 book about the Cuban Missile Crisis, âEssence of Decision.â âBut as Kennedy said back then, the plausible scenario is if a leader is forced to choose between a catastrophic humiliation and a roll of the dice that might yield success.â
Nous sommes donc en pleine thĂ©orie des jeux đ° / poker menteur. Mais ce qui est certain, câest que la longue pĂ©riode de dĂ©sarmement est dĂ©sormais derriĂšre nous :
Dans ce registre, on essaye de calculer 𧟠qui aurait le plus Ă perdre et trĂšs clairement pour la Russie đ·đș une dĂ©faite humiliante face Ă lâUkraine đșđŠ serait de nature Ă pouvoir provoquer lâirrĂ©parable.
âSuch threats and counterthreats, seemingly right out of the worst moments of the Cold War, are exactly the kind that most Americans and Russians thought ended with the collapse of the Soviet Union.â
Pour les Russes, qui sont dĂ©sormais sur la dĂ©fensive face Ă la combativitĂ© et Ă lâingĂ©niositĂ© ukrainienne couplĂ©es Ă lâarmement occidental, lâutilisation dâune arme nuclĂ©aire est lâune des derniĂšres cartes đ dâun jeu qui sâamenuise de jour en jour.
â> AprĂšs la mobilisation quasi-gĂ©nĂ©rale, en tout cas beaucoup moins limitĂ©e quâon ne le dit, lâarme nuclĂ©aire est le dernier symbole de la puissance russe.
â> Et de mĂȘme que le nuclĂ©aire symbolise paradoxalement le renouveau japonais (les terribles bombes ont forcĂ© le pays a tournĂ© la page des annĂ©es ultra-nationalistes), pour les nationalistes russes et leurs alliĂ©s, lâutilisation de la bombe đŁ nuclĂ©aire est le move gĂ©ostratĂ©gique ultime, dans une pure pulsion de mort au sens freudien.
âFor that reason, the next few weeks could prove a particularly dangerous time, a range of American and European officials agree. But Mr. Putin is not likely to use a nuclear weapon immediately. His initial steps, according to the officials, would probably involve a sabotage campaign in Europe, attacking Ukraineâs energy infrastructure or targeting senior officials in Kyiv. Some officials wonder if the attacks on the Nord Stream pipelines may have been a first step â though it is not clear Russia was behind that sabotage.â
En tout Ă©tat de cause, lâOccident se prĂ©pare Ă tous les scĂ©narios, et un peu comme cette phrase du directeur de la CIA dans Jason Bourne, on pourrait rĂ©sumer la philosophie US par : « hope for the best, plan for the worst ».
Jâai envie de citer Sun-Tzu, qui dit quâil faut toujours mĂ©nager une sortie pour lâennemi :
« On ne force pas un ennemi aux abois. » (chapitre 7)
P.S. : sur un ton plus lĂ©ger, tout cela me rappelle lâexcellent livre « Stillness is the key » de Ryan Holiday, qui raconte quâen pleine crise des missiles, JFK⊠dessinait pour se dĂ©tendre et mieux raisonner, en lâespĂšce des bateaux đ€, son safe space Ă lui.
Dessin, extraordinaire, ci-dessous :
đŹđ§ How not to run a country (The Economist, September 28, 2022)
Lâannonce du budget britannique par le nouveau gouvernement de la PremiĂšre ministre Liz Truss et son Chancelier de lâEchiquier Kwasi Kwarteng devait ĂȘtre le dĂ©but dâune nouvel ĂšreâŠ
⊠mais cela a virĂ© Ă la CATASTROPHE sur les marchĂ©s financiers. Câest que les 45 milliards de livres sterling de baisses dâimpĂŽts censĂ©es booster lâĂ©conomie ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es sans plan de financement.
â> du coup « les marchĂ©s » (comme en 2008, ils sont bien de retour !) ont sanctionnĂ© le marchĂ© obligataire britannique, faisant plonger le prix des bonds et explosĂ© les taux dâintĂ©rĂȘt.
Comme pendant la grande crise financiĂšre et la pandĂ©mie globale, voilĂ la vĂ©nĂ©rable Bank of England qui a donc annoncĂ© quâelle ferait ce quâil faut en achetant des quantitĂ©s illimitĂ©es dâobligations Ă maturitĂ© longueâŠ
⊠Le Royaume-Uni a donc frĂŽlĂ© la catastrophe, et ce dans un contexte oĂč la livre sterling atteint un plus bas historique face Ă son cousin amĂ©ricain (1 ÂŁ = 1,11 $ versus 1,35 $ dĂ©but 2022 par exemple !).
De mĂȘme, fait rarissime pour une grande puissance, le FMI a alertĂ© publiquement le royaume sur la dangerositĂ© de sa politique Ă©conomique :
Le risque de naufrage macro du royaume est limitĂ©, mais le dommage en matiĂšre de crĂ©dibilitĂ© est de lâordre du dramatique.
âBritain has a flexible exchange rate, it has minimal debt denominated in foreign currencies and its central bank is independent from the government. Even so, the economic and political damage from the past week is immenseâand immensely frustrating.â
Si le fond du projet politique du gouvernement â booster la croissance â est plein de sens, câest la mĂ©thode qui est en cause.
Une baisse des taxes et une politique de lâoffre (en favorisant les investissements dans les infrastructures par exemple) ou encore un dĂ©veloppement des marchĂ©s financiers sont tout Ă fait louables.
Mais le manque de crĂ©dibilitĂ© pose un problĂšme pratiquement insoluble â notamment en raison de finances publiques dĂ©sĂ©quilibrĂ©es ou encore de problĂšme complĂ©mentaires, comme une productivitĂ© en berne.
âOne reason for that is economic. The reaction to the budget means that it will hurt growth, not boost it. The weaker pound causes higher imported inflation, eroding real incomes. The Bank of England has resisted pressure for an emergency rate rise, but it has signalled unequivocally that a big increase will come in November. That will add to the governmentâs own interest payments and harm people with mortgages.â
đ§ The Power of Brief Mental Health Therapies (Wall Street Journal, October 1, 2022)
Par Jenny Taitz
La pandĂ©mie đ· a fait exploser la demande de psychothĂ©rapies : aux Ătats-Unis, 68% des thĂ©rapeutes ont vu augmenter leurs listes dâattente, quand 40% ne peuvent tout simplement pas faire face Ă la demandeâŠ
⊠Aussi, toute thĂ©rapie nâa pas Ă ĂȘtre une longue thĂ©rapie. La recherche dĂ©montre au contraire que des thĂ©rapies courtes et ciblĂ©es peuvent avoir un impact trĂšs notable.
â> On parlera dâintervention, de par exemple 30 minutes, plutĂŽt que de thĂ©rapies au sens stricte mais cela peut avoir un impact pour combattre des maux comme lâanxiĂ©tĂ©.
â> Une Ă©tude a ainsi dĂ©montrĂ© quâune seule session Ă distance pouvait rĂ©duire significativement le sentiment dâimpuissance et dâanxiĂ©tĂ© des patients.
Lâoccasion aussi de revoir ce trĂšs bon rĂ©sumĂ© de la psychanalyse par Bref, qui a tant Ă©gayĂ© nos vies dâassociates en banque dâaffaires (la sĂ©rie, pas les psychanalyses) :