Chers tous,
Je ne sais pas si câest la fin de lâabondance ou dâune certaine douceur de vivre (nous avons dĂ©butĂ© Dimanche Seven lors de lâan I du Confinement) mais ce qui est certain câest que lâOccident, ou en tout cas lâEurope, vit son moment âIllusions perduesâ (lâexcellent ouvrage de Balzac). Et si je prĂ©fĂšre une Europe-Rastignac Ă une Europe-RubemprĂ©, il faut bien avouer que cet Ă©tĂ© caniculaire nous aura fait lâeffet dâune douche froide.
Comme si la pandĂ©mie nâavait pas Ă©tĂ© une leçon dâhumilitĂ© suffisamment puissante, le perfect storm que lâon vit depuis quelques mois est lĂ pour nous rappeler quâau fond nous nâavons pas / plus la main sur autant de choses que par le passĂ©.
Aussi on notera la convergence manifeste des challenges (soyons positifs) vers la thĂ©matique de lâĂ©nergie = la force en action, et ce alors mĂȘme que lâon semble franchement impuissants.
Notre incapacité à mener à bien une transition énergétique ordonnée, à assurer la paix en Europe, ou (bien-sûr) à maintenir une économie prospÚre (trÚs désorganisée par la pandémie) nous conduit dans un monde inconnu.
Inconnue depuis longtemps la guerre Ă nos portes entre une superpuissance et une plus modeste puissance-soeur de la superpuissance. Inconnue depuis longtemps lâinflation et la hausse des taux (oui !). Inconnues les pĂ©nuries dâĂ©nergie ou de matiĂšres premiĂšres. Et bien dâautres choses.
Mais comme je suis positif de nature (si si !) jâai envie de dire ce que lâon entend peut-ĂȘtre pas encore assez. Je parle bien-sĂ»r du fameux adage de Nietzsche : le trop galvaudĂ© âce qui ne tue pas rend plus fortâ. Et de se dire que toutes ces colossales difficultĂ©s sont peut-ĂȘtre le prix Ă payer pour faire Ă©merger un nouveau modĂšle plus vertueux, et enfin combattre le rĂ©chauffement climatique plus efficacement que ce roi qui voulait fendre la mer avec son Ă©pĂ©e.
Bonne rentrée pour de bon cette fois.
Amitiés,
Grégory
P.S. : je pourrais aussi ajouter quâen rĂ©alitĂ©, hormis pendant quelques parenthĂšses enchantĂ©es, le monde a quand mĂȘme souvent Ă©tĂ© complexe, chaotique, odieux, redoutable, mortifĂšre, moribond. Dans lâhistoire pas trop ancienne je pourrais citer la premiĂšre guerre mondiale, lâentre-deux-guerres puis la deuxiĂšme mais aussi la guerre froide (avec par exemple lâapparition du terrorisme Ă lâĂ©chelle, les chocs pĂ©troliers, les guerres par intermĂ©diaires), la guerre en Yougoslavie, les crises des pays Ă©mergents Ă la fin des annĂ©es 1990, le 11 septembre, la guerre en Irak, la guerre en Afghanistan, et toutes les difficultĂ©s politiques, gĂ©opolitique, Ă©conomiques et sociales et sociĂ©tales auxquelles on doit faire face. Comme le dit le gĂ©opolitologue que jâaime beaucoup, Peter Zeihan, âthe end of the world is just the beginningâ.
Jasper Johnsâs âSmall False Startâ (1960) - Collection de Paul Allen, bientĂŽt vendue par Christieâs (confĂšre plus bas please).
đ€ âFind the smartest technologist in the company and make them CEOâ (Interview of Marc Andreessen by McKinsey, June 2022)
Interview de Marc Andreessen dans le podcast The Quarterly Interview: Provocations to Ponder crée par McKinsey.
On ne présente plus Marc Andreessen, le co-fondateur avec Ben Horowitz du légendaire fonds de venture capital de la Silicon Valley, Andreessen Horowitz (a.k.a. a16z).
On va juste rappeler quâau-delĂ de son statut dâicĂŽne de la tech, Marc Andreessen sâest fait connaĂźtre trĂšs fort grĂące Ă sa thĂšse, et son paper : âWhy software is eating the worldâ.
1/ Il y a 2 « modes » dans les cycles technologiques :
Search mode = on cherche une nouvelle colline à gravir = découvrir une nouvelle technologie qui va fonctionner, intéresser les consommateurs, et ouvrir de nouvelles opportunités de marché.
Hill climbing mode = escalader la technologie en question = exploiter commercialement cette tech pour en faire un mass market. Atteindre le plateau peut ĂȘtre long, et ce plateau peut ĂȘtre quand mĂȘme trĂšs gros (e.g. = les đČ & Co).
Ces phases tech peuvent ĂȘtre contre-intuitives et des bas de cycles peuvent ainsi reprĂ©senter de nouvelles collines colossales â> lors de la grande crise financiĂšre de 2008/09 on prĂ©disait un ice age des tech, avec un remake de la bulle de 2000. Mais il nâen nâa rien Ă©tĂ©. Au contraire, nous avons assistĂ© Ă lâexplosion des smartphones, du Web 2.0 (rĂ©seaux sociaux), des logiciels (les fameux Software as a Service), etc.
2/ Les prochaines collines Ă gravir peuvent ĂȘtre rĂ©sumĂ©s par A/B/C :
â> Intelligence Artificielle
â> Biotech
â> Crypto / Web3
On pourrait aisĂ©ment considĂ©rer ces tendances comme contre-intuitives. Mais pour le mage Marc Andreessen, ce nâest pas le cours de bourse ou plus gĂ©nĂ©ralement les valorisations quâil faut observer pour dĂ©terminer lâattractivitĂ© Ă lâinstant T dâune technologie mais la « wave of talents » â> plus vous avez des gens intelligents (jeunes diplĂŽmĂ©s, cadres expĂ©rimentĂ©s, etc) qui rejoignent une industrie plus cette derniĂšre est prometteuse et en gĂ©nĂ©ral va finir par « dĂ©livrer ». Câest prĂ©cisĂ©ment ce quâil se passe en ce moment pour A/B/C (et qui est totalement en ligne avec ce que jâobserve dans lâĂ©cosystĂšme, ce que nous disent les VC avec qui lâon Ă©change trĂšs rĂ©guliĂšrement, etc).
3/ MĂȘme si certaines technologies prennent du temps Ă se dĂ©velopper, les ingĂ©nieurs finissent (toujours) par les amĂ©liorer â> ainsi en a-t-il Ă©tĂ© du tĂ©lĂ©phone ou du PC portable par exemple.
« Whatever the smart engineers work on is going to get better. It may or may not be commercially successful, but it is going to improve. »
4/ De la supĂ©rioritĂ© des startups sur les grands groupes en matiĂšre dâinnovation.
Raison (i) : dites-moi oĂč se trouvent les technologistes dans lâentreprise et je vous dirai qui vous ĂȘtes ;)
Dans les startups, les technologistes sont au coeur du leadership des entreprises, versus dans les grands groupes, oĂč ils se trouvent souvent aux confins de lâempire.
Ce nâest naturellement pas le cas chez Tesla, oĂč les geeks sont au coeur de la matrice.
âThe problem that big, classic Fortune 500 companies have is the same problem they had 20 years ago. I thought the problem would shrink over time, but Iâm not sure it has. That problem is that the true technologists inside so many big companies are not the primary people at the company. Theyâre not treated as first-class citizens.â
Raison (ii) : dites-moi comment vous rĂ©agissez dans votre rapport Ă la technologie en cas de retournement de marchĂ© et je vous dirai (aussi) qui vous ĂȘtes.
On connait la musique quand le marchĂ© se retourne : les entreprises se frottent les mains de ne plus avoir Ă se plonger dans ces nouvelles technologies qui leur empoisonnaient (quand mĂȘme un peu) la vie. Erreur, erreur, comme le montre le splendide exemple dâAmazon : aprĂšs la bulle Internet de 2000, on a bien vite enterrĂ© le e-commerce, ce qui par exemple a laissĂ© le champs libre Ă nos amis dâAmazon, qui, eux, ont persistĂ© avec un succĂšs implacable et dĂ©routant dâefficacitĂ©.
5/ Une croyance profonde, structurelle, et donc de trĂšs long-terme dans le web 3 et la crypto (comme chez Dimanche Seven) :
âI think this is a foundational technology change, a new architecture for building an entirely new generation of computing systems. We have become convinced that Web3/blockchain/crypto is foundational. Itâs a big hill. Itâs as foundational an architecture shift as the ones from mainframes to PCs, from PCs to web, from web to mobile, or from traditional software to AI. Itâs a fundamental shift and building this out is a 25- to 30-year process.â
La raison fondamentale de cette nouvelle colline est que dans un premier temps, Internet sâest occupĂ© de sa face âuntrusted networkâ (en gros un Internet ouvert, pas focalisĂ© sur la sĂ©curitĂ©) alors que le web3 sâattaque aux âtrusted networksâ (avec par exemple le fait dâĂ©changer de lâargent ou tout autre objet de valeur).
6/ Comment convaincre autrui dâutiliser telle ou telle innovation ?
On ne peut forcer personne Ă se tourner vers une technologie.
En gĂ©nĂ©ral il y a 2 types dâadopters : les jeunes (qui sont forcĂ©ment moins contraints par telle ou telle habitude) et les moins jeunes (qui se disent que finalement il nâest pas inutile de tester telle ou telle tech).
7/ Comment les grands groupes doivent-ils faire pour se digitaliser ?
La rĂ©ponse est presque dans la question â et accessoirement dans le titre de ce paper. Les sociĂ©tĂ©s de tech nâont pas Ă proprement parler de dĂ©partement tech - et ainsi sont-elles dirigĂ©es par des technologistes.
By the way, quâest-ce-quâun technologiste du coup ?
Dans ce contexte, les grands groupes peuvent-ils gagner la compĂ©tition technologie ? Oui, certes, parfois. Mais on ne doit pas surestimer le fameux adage âce nâest pas forcĂ©ment la meilleure technologie qui gagneâ. Or câest quand mĂȘme souvent le cas. Et câest ainsi que Tesla fonctionne si bien sans mĂȘme devoir faire de la pub : une tech impeccable.
8/ De lâanalogie entre JP Morgan, grand financier de la deuxiĂšme rĂ©volution industrielle et Andreessen Horowitz.
"In history, it seems that somebody has to play that role. Somebody has to imbue credibility on a founder before everybody knows who they are. Somebody has to advance them the money when itâs not at all obvious that the idea is good. Somebody has to help them get to the world. Somebody has to help them recruit and build a team before anybody knows who they are.â
© Library of Congress â J.P. Morgan, 1902
âż The 30-Year-Old Spending $1 Billion to Save Crypto (Wall Street Journal, 23 August, 2022)
Nous avons dĂ©jĂ parlĂ© ici de lâĂ©nigmatique fondateur de lâexchange de cryptos FTX, Sam Bankman-Fried (a.k.a. âSBFâ) - 30 ans seulement.
Depuis lâeffondrement du marchĂ© des cryptomonnaies (chute de 70% du bitcoin depuis novembre et effacement concomitant de 2.000 milliards de dollars de valeur), SBF a jouĂ© plusieurs fois le rĂŽle de prĂȘteur / investisseur en dernier ressort de ce marchĂ© oĂč il est un mastodonte â en lâespĂšce le n°3 mondial â avec plus de 9 milliards de dollars de cryptos Ă©changĂ©es sur sa plateforme quotidiennement.
SBF est rapide, multitask, etc. (tout ce que lâon aime) et il a par exemple dĂ©cidĂ© de relocate son groupe et ses Ă©quipes de Hongkong aux Bahamas en quelques semaines.
Lâan passĂ©, lâempire FTX a gĂ©nĂ©rĂ© un peu plus dâ1 milliard de dollars de chiffre dâaffaires pour un rĂ©sultat net de 388 millions de dollars â et affichait comme derniĂšre valorisation 32 milliards de dollars.
Pour SBF, le plus dur est derriĂšre : le BTC (bitcoin) cote Ă 21.000 dollars (un peu comme fin 2020).
Depuis les complications sur le marchĂ©, FTX a largement Ă©tendu son champs dâaction, avec par exemple un investissement dans BlockFi (âwe let you borrow funds against your cryptoassets so you can get a loan while continuing to holdâ).
In the final deal unveiled on July 1, FTX agreed to loan BlockFi $400 million with an option to buy the firm for up to $240 million.
Dans cette mue en vĂ©ritable capitaine dâindustrie â voir chef de file â le fondateur de FTX a aussi appris Ă sâexprimer devant une audience allant bien au-delĂ des traditionnels geeks de lâindustrie des cryptos :
âHe has had to transition from talking to a purely crypto audience to dealing with lawmakers, journalists and the public,â said Chris McCann, a partner at Race Capital, an early investor in FTX. âIn 2019 he didnât have a lot of those skill sets. He was much more of a shy, quirky, geeky person.â
Quelques points dâĂ©tapes sur FTX (suivez bien, ça va vite !) :
â> Fondation du fonds Alameda Research (qui trade des cryptos et cherche Ă gagner de lâargent en jouant sur les diffĂ©rences de cours entre les diffĂ©rentes bourses) en 2017 en Californie.
â> Transfert du siĂšge Ă HK (oĂč la rĂ©gulation est plus light).
â> Lancement de la plateforme dâĂ©change FTX en 2019.
â> Transfert du siĂšge aux Bahamas (rĂ©gulation encore).
â> 2022 : le business sâĂ©tend avec lâachat de lâexchange japonais Liquid.
â> Juin dernier : rachat du canadien Bitvo Inc.
Avec plusieurs milliards de dollars en cash, FTX a les moyens de ses ambitions.
FTXâs ambitions extend to traditional markets. After buying a registered U.S. brokerage firm last year, it recently allowed American customers to trade stocks on its app alongside bitcoin. In May, Mr. Bankman-Fried spent $648 million of his personal fortune to buy a 7.6% stake in Robinhood Markets Inc., maker of the popular trading app.
SBF
đ·đș Are sanctions on Russia working? (The Economist, 25 August 2022)
Cette guerre dĂ©cidĂ©ment accumule les superlatifs. Outre lâeffroi, lâhorreur, et tout le gĂąchis quâelle reprĂ©sente, la guerre russo-ukrainienne Ă©tait aussi un stress test Ă grande Ă©chelle sur la politique de sanctions occidentales Ă lâĂ©gard du Kremlin (et de tous les Russes en rĂ©alitĂ©).
Six mois aprĂšs, alors que lâon rentre dans une guerre de position et quâaucune solution diplomatique ne semble envisageable Ă court terme et alors que la guerre du gaz pose dâĂ©normes problĂšmes de tous les ordres aux dirigeants europĂ©ens, on est en mesure de tirer les premiĂšres conclusions de la plus grande vague de sanctions de lâhistoire moderne.
âWorryingly, so far the sanctions war is not going as well as expected.â
Les sanctions punitives Ă lâĂ©gard dâune Ă©conomie de 1,8 trillions de dollars poursuivaient un double objectif : 1) Ă court terme totalement dĂ©sĂ©quilibrer la balance des paiements et lâĂ©conomie (rappelez-vous que 50% des rĂ©serves en devises de la Russie, soit 580 milliards de dollars, ont Ă©tĂ© âgelĂ©es) et 2) Ă plus long terme affaiblir considĂ©rablement lâappareil productif russe, soudainement coupĂ© des ressources technologiques occidentales par exemple.
Câest que longtemps trop guerrier (se souvenir de la phrase de Louis XIV Ă la fin de son rĂšgne = âjâai trop aimĂ© la guerreâ), lâOccident prĂ©fĂšre dĂ©sormais les sanctions Ă dâautres modes de conflit (confĂšre la politique contre lâIran par exemple).
Les sanctions font mal Ă la Russie bien-sĂ»r. Mal aux consommateurs. Mal aux infrastructures (mais il faut du temps pour le voir, etc). Mais il y a un mais. On prĂ©voyait un effondrement de 15% du PIB russe cette annĂ©e â> on devrait ĂȘtre autour de 6%. Surtout, la Russie devrait dĂ©gager un excĂ©dent de la balance courante de 265 milliards de dollars (deuxiĂšme aprĂšs la Chine). Et ce grĂące⊠aux matiĂšres premiĂšres bien-sĂ»r mais aussi car lâĂ©quivalent de 40% du PIB mondiale ne sanctionne pas la Russie.
Et lâEurope paye trĂšs lourd le prix (Ă©nergĂ©tique) de la guerre. Du coup parfois on ne sait plus qui sanctionne quiâŠ
Instead the lesson from Ukraine and Russia is that confronting aggressive autocracies requires action on several fronts. Hard power is essential. Democracies must cut their exposure to adversariesâ choke points. Sanctions play a vital role, but the West should not let them proliferate. The more that countries fear Western sanctions tomorrow, the less willing they will be to enforce embargoes on others today.
đš Christieâs to Sell Paul G. Allenâs $1 Billion Art Collection (New York Times, 25 August 2022)
Par Robin Pogrebin
En 2018, le gĂ©nial co-fondateur de Microsoft, Paul G. Allen, nous quittait, perdant sa dernier bataille contre un lymphome. Homme dâaffaires larger than reality comme on dit parfois, il Ă©tait aussi un collectionneur immense.
Et câest Christieâs qui annoncĂ© cette semaine quâelle allait mener les enchĂšres de sa collection â estimĂ©e Ă 1 milliard de dollars.
âItâs a major event for the art market and for the art world,â Guillaume Cerutti, the chief executive of Christieâs, said in a telephone interview. âThe fact that it embraces five centuries of great art â from Botticelli to David Hockney, plus of course the very inspirational figure of Paul Allen, plus the fact that the sale is dedicated to philanthropy â we are really moved by this extraordinary project we are on. Itâs something thatâs very special.â
Parmi les splendeurs qui seront mises en vente on relĂšve par exemple âSmall False Startâ de Jasper Johns, ou encore âLa montagne Sainte-Victoireâ de CĂ©zanne (poke).
Paul CĂ©zanne - âLa montagne Sainte-Victoireâ
Merci Ă tous !