đŠ Splendeurs et misĂšres de la Silicon Valley Bank
Le monde n'est définitivement plus linéaire.
Chers tous,
Cette semaine je voulais consacrer une Ă©dition spĂ©ciale Ă la âhaute-financeâ, je voulais parler du passionnant take-private de la vĂ©nĂ©rable banque Rothschild & Co, du spin-off de CS First Boston par le trĂšs mercurcien Michael Klein aidĂ© du fonds souverain dâArabie Saoudite, je voulais parler de lâinjection de 400 millions dâeuros dans la holding de contrĂŽle de Tikehau Capital, des rĂ©sultats exceptionnels de Citadel, le fantastique groupe financier du gĂ©rant de hedge-fund prolifique Kenneth Griffin, etc.
Mais ce sera pour la semaine prochaine, ou une suivante.
Car ce dimanche il sera difficile de vous parler dâautre-chose que de la chute vertigineuse de la Silicon Valley Bank (âSVBâ), lâiconique banque de lâĂ©cosystĂšme Ă©ponyme. Et cela inĂ©vitablement me ramĂšne aux dĂ©buts passionnants de ma carriĂšre de banquier dâaffaires (le rachat en urgence de Bear Sterns par JP Morgan, la faillite de Lehman Brothers, et la crise financiĂšre qui a suivi, etc.).
Or depuis les annĂ©es de la pandĂ©mie globale, nous sommes rĂ©guliĂšrement amenĂ©s Ă rĂ©activer les rĂ©flexes stratĂ©gico-financiers de survie que lâon a appris ces annĂ©es-lĂ . LâĂ©cosystĂšme a ainsi craint le pire lors du premier confinement, mais lâinverse sâest produit pour beaucoup, aprĂšs quoi lâinflation est devenue si prĂ©occupante que, couplĂ©e Ă la guerre en Ukraine, les banques centrales ont fini par intervenir avec vigueur, nous menant lĂ oĂč nous sommes. Mais comme le monde nâest pas avare de paradoxes, les grandes entreprises ont rĂ©alisĂ© des annĂ©es 2022 exceptionnelles : en cause agilitĂ©, anti-fragilitĂ©, rĂ©silience, etc. En le sachant ou pas, le monde des affaires est devenu un bon Ă©lĂšve du philosophe-investisseur Nassim Nicholas Taleb, lâauteur de Black Swan.
La fin de Silicon Valley Bank dans sa version historique est un drame et un trauma pour lâĂ©cosystĂšme : les startups biens-sĂ»r mais aussi les investisseurs et naturellement les collaborateurs.
Mais la hausse des taux dâintĂ©rĂȘts â et plus gĂ©nĂ©ralement la fin de lâĂšre de lâargent facile â nâa probablement pas encore Ă©tĂ© suffisamment factorĂ©e dans le systĂšme. Ce que lâon vit avec la banque de la vallĂ©e nâen nâest quâune illustration.
La chute de SVB comme on lâappelle est une manifestation supplĂ©mentaire de la prĂ©sĂ©ance du systĂšme balzacien sur tous les autres (y compris le stendhalien et le proustien). Balzac expliquait Ă merveille la non-linĂ©aritĂ© du monde (câest la difficultĂ© avec les fameux âbank-runâ : quand tout le monde vient retirer son argent prĂ©cisĂ©ment en mĂȘme temps !), que ce soit financiĂšrement, socialement, amoureusement, etc. Ainsi en est-il de la chute de Lucien de RubemprĂ©, de la chute de CĂ©sar Birotteau, mais aussi Ă force de travail et de ruse et dâintelligence des renaissances du baron de Rastignac, du baron de Nucingen, etc.
Balzac depuis sa maison dâAuteuil, nâaurait pas Ă©tĂ© spĂ©cialement Ă©tonnĂ© de la tournure des Ă©vĂšnements autour de la Silicon Valley Bank. AprĂšs des annĂ©es dâhubris, de manne au sens biblique parfois, le fameux marchĂ© baissier a fini par faire son nid. AprĂšs des annĂ©es historiques dans lâhistoire de lâhumanitĂ© de taux nĂ©gatifs et dâargent-hĂ©licoptĂšre, Ă©tait venu le temps des licenciements chez les grands et les moins grands, dâune plus grande sĂ©lectivitĂ© dans les investissements, etc.
Ce processus est au coeur du capitalisme, avec des hauts et des bas et un systĂšme qui se rĂ©gule ainsi : le fameux darwinisme que les Ătats cherchent Ă combattre, Ă contrer, Ă Ă©quilibrer, etc.
Mais la faillite dâune banque revĂȘt un aspect traumatisant (psychologiquement et littĂ©ralement), a fortiori une banque qui jouait un rĂŽle crucial pour lâĂ©cosystĂšme dâinnovation aux Ătats-Unis mais aussi par exemple au Royaume-Uni. Certains voudraient y voir une allĂ©gorie mais on parle surtout ici dâun problĂšme de gestion du risque au sein de lâinstitution, avec une chance importante de contagions Ă dâautres âpetitesâ maisons. Or pour une banque bien-sĂ»r, perdre la confiance de ses dĂ©posants, câest risquer de sâeffondrer. Car on avait oubliĂ© quâau fond quand vous dĂ©posez votre argent dans une banque, câest vous qui dĂ©tenez une crĂ©ance sur cette derniĂšre, qui est ainsi endettĂ©e auprĂšs de vous (ce que lâon comprend vite en comptabilitĂ© gĂ©nĂ©rale lors des premiers cours).
Naturellement, comme câest littĂ©ralement la Silicon Valley Bank qui a Ă©tĂ© fermĂ©e par lâĂtat fĂ©dĂ©ral, lâĂ©cosystĂšme a commentĂ© en live sur Twitter (son mĂ©dia de rĂ©fĂ©rence) les tenants et les aboutissants de ce drame. En un sens, câest un peu la premiĂšre banqueroute Twitter dâune banque.
Hope for the best, plan for the worst.
Bonne fin de semaine, amitiés,
Grégory
Convergence, Jackson Pollock
Une fois nâest pas coutume, je me limiterai ici un Ă un article français â avec un excellent papier du âMondeâ â et un article en anglais â un non-moins excellent article du âNew York Timesâ, qui abordent deux problĂ©matiques bien diffĂ©rentes (la mĂ©canique de la chute dâune part, ses consĂ©quences concrĂštes pour les Ă©quipes dâautre part).
đ„ La fermeture de la Silicon Valley Bank, plus grosse faillite bancaire depuis la crise de 2008 (Le Monde, 11 mars 2023)
Par Arnaud Leparmentier et Marc Angrand
Vendredi dernier, un organisme reprĂ©sentant lâĂtat fĂ©dĂ©ral amĂ©ricain a fermĂ© administrativement la Silicon Valley Bank (SVB) aprĂšs plusieurs jours de retraits massifs des dĂ©pĂŽts.
La SVB Ă©tait la 16Ăšme banque amĂ©ricaine et disposait de 210 milliards de dollars dâactifs et 175 milliards de dollars de dĂ©pĂŽts (Ă fin 2022).
Câest la plus grosse faillite bancaire depuis 2008.
Si les dĂ©pĂŽts sont garantis jusque 250.000 dollars, ils ne le sont pas au-delĂ . Et on saura donc Ă partir de demain ce quâil en sera. Or la plupart des dĂ©pĂŽts de la SVB Ă©taient au-delĂ de ce seuil. ConcrĂštement plus aucun client ne peut rĂ©aliser de mouvement sur SVB depuis vendredi : lâargent est bloquĂ©.
La SVB Ă©tait la banque de rĂ©fĂ©rence de lâĂ©cosystĂšme tech, notamment en Californie et dans la rĂ©gion de Boston, et Ă ce titre Ă©tait le dĂ©positaire du cash de trĂšs nombreuses entreprises technologiques, de lâearly stage (les trĂšs jeunes) aux trĂšs grosses.
Par exemple, Roku, un acteur important du streaming, a annoncĂ© quâun quart de son cash, soit prĂšs de 500 millions de dollars Ă©tait dĂ©posĂ© chez SVB.
Pour les plus petits acteurs il sâagira a fortiori dâun risque vital.
Les acteurs de lâĂ©cosystĂšme de la technologie et de la finance sont exaspĂ©rĂ©s par le risque encouru par les startups et lâinaction / le silence des autoritĂ©s de rĂ©gulation (le prĂ©sident de la Fed, la SecrĂ©taire au TrĂ©sor, etc).
Comment cela a commencé ?
Mercredi, la banque a annoncĂ© avoir liquidĂ© 21 milliards de dollars de bons du TrĂ©sor pour une perte de 1,8 milliards de dollars. Câest que SVB avait investi les dĂ©pĂŽts des clients en bons qui ont vu leur valeur chuter avec des taux passĂ©s de 0% Ă 4,5% en quelques mois (pour rappel le prix des obligations Ă©volue en sens inverse des taux).
En plus de la vente de ce portefeuille, SVB a tenté de lever 2,5 milliards de dollars.
Cette communication étonnante a effrayé les marchés et le cours a perdu 60% jeudi puis 60% vendredi matin. On a donc aussi ici un problÚme de communication.
Cela a provoquĂ© un vent de panique : le fameux âbank-runâ oĂč tous les dĂ©posants tentent de retirer leur argent en mĂȘme temps, ce qui peut facilement provoquer la faillite dâune banque si ses actifs ne sont pas suffisamment solides et liquides.
Puis la banque a essayé de se vendre tout en assistant à une explosion des retraits.
LâĂtat fĂ©dĂ©ral est alors intervenu pour mettre fin Ă cette spirale dramatique.
La politique de gestion du risque de la banque est en en question.
Câest la âdurationâ qui pose le plus de questions, i.e. la non-adĂ©quation dans le temps entre ses actifs (par exemple des bons) et son passif (les dĂ©pĂŽts, immĂ©diatement exigibles).
Ainsi les dépÎts étaient du court terme mais les bons dans lesquels la banque avait investi étaient du long terme. C.Q.F.D.
Le risque de contagion est sur toutes les lĂšvres.
Dâautres banques rĂ©gionales pourraient ĂȘtre touchĂ©es, ce qui est suivi par les rĂ©gulateurs et observateurs de trĂšs prĂšs.
Ainsi en est-il par exemple de First Republic, Signature ou encore Pacwest.
Si la plupart des banques respectent bien les ratios prudentiels, de plus en plus dâacteurs de lâindustrie financiĂšre soulignent que la politique de forte hausse des taux pourrait finir par constituer Ă son tour un risque systĂ©mique parfois pire que le mal quâelle voudrait combattre (lâinflation).
âŽâ· Silicon Valley Bankâs Collapse Causes Start-Up Chaos (New York Times, March 10, 2023)
Par Erin Griffith
Lâhistoire de lâentrepreneuse Ashley Tyrner est symptomatique du âdrameâ Silicon Valley Bank, qui fascine et rĂ©vulse tous les acteurs de la tech et dâailleurs.
Il y a 2 ans alors quâelle sâapprĂȘtait Ă lever des fonds, la Fondatrice a ouvert comme il se devait un compte Ă la SVB. Jeudi, apprenant les difficultĂ©s rencontrĂ©es par la banque, elle a tentĂ© de retirer ses fonds (Ă huit chiffres) de la banque mais les virements ne sont pas passĂ©s. Et vendredi la banque passait sous le contrĂŽle de lâĂtat et tout Ă©tait gelĂ©.
âNone of my reps will call me back,â Ms. Tyrner said. âItâs the worst 24 hours of my life.â
Or vendredi est le jour de paye aux Ătats-Unis. Du coup beaucoup de dirigeants de la tech, parfois aidĂ©s par leurs investisseurs, ont fait des prĂȘts pour pouvoir payer leur personnel.
La chute de la Silicon Valley Bank intervient dans un climat dĂ©jĂ dĂ©lĂ©tĂšre pour lâindustrie de la tech.
âThe implosion rattled a start-up industry already on edge. Hurt by rising interest rates and an economic slowdown over the past year, start-up funding â which had been supercharged by low interest rates for years â has shriveled, resulting in mass layoffs at many young companies, cost-cutting and slashed valuations. Investments in U.S. start-ups dropped 31 percent last year to $238 billion, according to PitchBook.â
La SVB Ă©tait une institution dans la tech comme son nom lâindique, et son effondrement est un choc sans prĂ©cĂ©dent pour lâĂ©cosystĂšme quâelle servait depuis des dizaines dâannĂ©es.
On top of that, the fall of Silicon Valley Bank was especially troubling because it was the self-described âfinancial partner of the innovation economy.â The bank, founded in 1983 and based in Santa Clara, Calif., was deeply entangled in the tech ecosystem, providing banking services to nearly half of all venture-backed technology and life-science companies in the United States, according to its website.
Silicon Valley Bank was also a bank to more than 2,500 venture capital firms, including Lightspeed, Bain Capital and Insight Partners. It managed the personal wealth of many tech executives and was a stalwart sponsor of Silicon Valley tech conferences, parties, dinners and media outlets.
Les déposants ont réussi avec plus ou moins de succÚs à retirer leurs fonds : les plus rapides / paranoïaques sont ceux qui ont réussi.
Cela a par exemple Ă©tĂ© le cas du lĂ©gendaire Peter Thiel, du Founders Fund. Cela a laissĂ© dire Ă certains que les acteurs de lâĂ©cosystĂšme, en conduisant Ă un bank-run, nâavaient pas rendu Ă la SVB ce que cette derniĂšre leur avait apportĂ©. DĂ©bat qui Ă mon sens ne se tient pas, la gestion du risque des actifs Ă©tant un sĂ©rieux enjeux, avec la fameuse duration Ă©voquĂ©e dans le papier ci-dessus.
Outre les problÚmes pour payer les employés, SVB aura aussi des impacts pour les fonds de VC?
âMany venture capital firms had also used lines of credit with Silicon Valley Bank to make investments quickly and smoothly, Mr. Ocko of DCVC said. Those lines of credit are now frozen, he said.â
Les questions qui se posent, et qui soulĂšvent un Ă©norme dĂ©bat comme on le voit sur Twitter ? Va-t-il y avoir un bail-out pour sauver tous les dĂ©posants ou au contraire va-t-on laisser une contagion sâinstaller chez toutes les banques les plus fragiles en terme de structure dĂ©pĂŽts / prĂȘts ? A suivre.
Merci Ă tous !